JUILLET 2022-3

Qui me l’a envoyé ce singe ?

Notes Durrell m’avait cité un jour la phrase d’un écrivain anglais d’Alexandrie, E.M Forster, qu’il admirait particulièrement et qui lui parlant du poète grec Cavafy, l’avait défini comme « un être occupant une position légèrement oblique par rapport au reste de l’univers ».

Durrell raffolait de cette phrase dont je trouve, mais n’est ce que pure coïncidence?- qu’elle le définit lui-même à merveille. Car demeurer oblique par rapport au reste du monde, c’est ne pas être dupe de ce monde et aussi être en état d’ivresse cosmique/ Durrell Affaires urgentes, Un peu de tenue Messieurs. 

Hier nous avons expérimenté la piscine de Brignoles. Impeccable. J’ai fait 3 km puis nous sommes allés dans la ville même dont je ne connais que l’hôpital où j’ai des souvenirs mauvais d’angoisse, de chambres doubles minuscules, de chaleur, de bout du monde médical. Un peu écarté du centre un café restaurant où ils servent des croque- monsieur-qui ne ressemblent en rien à des Croque-Monsieur et ont l’air délicieux.( comme plus tard le sera celui commandé à Saint-Raphael ).A côté et devant un beau bâtiment qui fut je ne sais quoi. Une caserne peut-être, une fontaine et 4 lions qui crachent de l’eau.

Il va falloir réfléchir à la maquette d’une nouvelle fontaine. Ce ne sera pas difficile je crois.

Suite à la catastrophe de Marmottan le musée a envoyé un mail afin de demander au responsable Sean Dunbar, ce qu’il comptait faire. Il n’a jamais eu la délicatesse de m’appeler, de m’écrire et de faire semblant d’être désolé.

Sean,

Voici le courrier que le  Musée Marmottan m’adresse. ( et moi aussi …) J’avoue être très étonnée , pour ne pas dire choquée de n’avoir jamais eu de vos nouvelles après cette catastrophe.Est ce de la lâcheté, de la négligence ou juste de la grossièreté ? Je crois avoir été bien calme. La moindre des choses eut été de me  téléphoner ou d’appeler le musée. Michel a au moins eu la décence de sembler désolé .Mais c’est à vous  que nous avons passé la commande . Les réparations des céramiques qui sont des pièces uniques, les rendent néanmoins invendables. Voici. Bonne lecture en attendant vos conclusions et propositions. 

Il m’écrit la chose suivante en guise de réponse: 

Ohh! Being pretty brave myself dealing with my cancer,You should have called. Keep in touch.  All the best. Sean

Même si j’en suis désolée, nos santés respectives n’ont rien à voir là dedans. Je repense alors a cette phrase de Beckett que j’aime tant et qui dit à peu près: Et laissons ma mère en dehors de cela si vous le voulez bien. 

Je déteste qu’on mélange l’affect au travail. C’est toujours pour se défiler d’une responsabilité ou se dégager d’un problème à régler. 

Terrasse

Martine amie médecin nous a apporté des calamars délicieux qu’elle a cuisinés  ( et pêchés ) et son amie un non moins délicieux parmesan du marché de Vingtimille.( pourquoi a 20 km de là le parmesan est-il moins bon, et pourquoi ne sait on pas à 20 km de là, couper le jambon correctement. Mystère de l’univers. )  Pourquoi – si je réussis à bien travailler, aller un peu en Italie. Je suis complètement stressée par le temps et l’idée qu’il file rapide comme une fusée. Comment ralentir cela. Je pense en souriant au passage dans le livre de Durrell ( déjà raconté plus haut: Pour en revenir au livre, le couple de japonais qui à Belgrade dans la valse de plus en plus vite et se transforme ainsi en arme de destruction massive est désopilant, les adeptes de la vodka, les dingues, ou un couple de Japonais d’ambassade, buvant ce qu’ils croient être su saké local et qui n’est que whisky, se lèvent et comment à danser la valse de plus en plus vite, heurtant les autres danseurs, se transformant en une boule de feu ou un missile destructeur, afin de s’échouer dans le bassin vaseux devant l’ambassade de France de Belgrade. 

J’ai recommencer à travailler hier après midi quinze juillet deux mille vingt deux après midi. Tendre la toile, j’avais commencé. Et barbouiller. Ce matin me suis installée dehors et le garde-chasse qui passait pas là, m’a dit que «  si ça se trouve » ce sera joli une fois fini. 

Je pense à Rebeyrolle que je n’aimais pas du tout autrefois et ses peintures qui sont semble t’il comme un torrent tout arraché sur son passage: Troncs, branches…pierres. 

Je viens d’absorber un flacon de tisane de thym que la voisine m’a offert.( rituel qui se reproduira tout au long du mois ) Cul sec pendant que le soleil ne dardaille pas trop fort.

La terrasse de la maison ressemble à celle d’un cabanon il n’y aurait ni eau ni électricité! Je regarde les sièges réparés par Emilio avec de la ficelle bleue. J’adore. J’ai accroché la cage des petits oiseaux en hauteur, victimes qu’ils sont des chats, ou des fourmis. Une armée impressionnante qui vient voler les graines  ( comme dans ce film de série Z où les sauterelles dévorent tout sur leur passage, laissant des humains à l’état de squelettes en carton. )

Un Nescafé. Un hameau, un velo gonflé, un courant d’air. La douche au jet d’eau et l’apaisement du soir quand il commence à peine à faire frais. La perspective de la mer demain peut-être ou peut-être pas. Le Repenti que j’aime. Même si les disparus manquent. 

JUILLET 2022-2

Le ventilateur

R. m’a offert Affaires urgentes de Durrell et j’avoue qu’il ya bien longtemps que je n’ai pas éprouvé la progression allant du sourire à l’éclat de rire.Peut être depuis le Privé à Babylone. 

Les Ambassades. C’est merveilleux; Là nous sommes en Yougoslavie. 

Belgrade 1951. Personnages et situations, gaffes et incidents-accidents diplomatiques. Descriptions désopilantes .

Ce que j’en ai comme expérience remonte maintenant à pas mal de temps. Rome 1982/84 , le palais Farnèse et surtout l’Ambassade près le Saint siège où nous avions ri comme des bossus. J’avais à l’époque un chapeau tyrolien avec une longue plume de faisan qui frétillait à peine bougeais-je la tête. C’était une sorte de boussole affolée ou de baromètre hyper sensible- je ne sais pas quelle option choisir- toujours est il que j’avais suggéré à d’autres pensionnaires de se coiffer de même pour aller présenter nos voeux. Une fois dans le gâteau, il n’allait plus suffire que de s’approcher de prêtres et soeurs et de vivement tourner la tête afin que nos plumes leur caresse la moustache. On m’avait propulsée à l’avant quand il fallut entrer – et comment fait-on pour saluer un …. Heu.. évêque prêtre sais pas mais qui fait une grosse bague. Me souviens plus de la solution que j’ai trouvée. On dit quoi et comment ? Bref on s’est bien amusés, avec la complicité des camériers dont certains étaient ceux de la villa. 

D’autres moments mémorables vinrent plus tard en Angleterre, en Ecosse  en Autriche ( où j’ai demandé à mon voisin  d’en face attaché culturel d’au moins faire des efforts pour me faire une conversation type. Puis un fou rire m’a pris, puis je lui ai dit qu’il y avait de la sauce sur sa cravate, puis j’ai , si je me souviens bien brillé à ma manière. Que quelqu’un ne fasse pas correctement le boulot qu’il s’est engagé à faire m’a toujours exaspérée. Là encore plus. A l’époque c’était L’association française d’action artistique qui nous envoyait là et là.  (AAFA) Afrique le plus souvent. ( Et je les en remercie encore )  Bref…A mon retour, tout le monde avait déjà entendu parler de cette histoire. Sans contexte diplomatique j’ai trainé comme un boulet pendant des années le fait que j’aie demandé à Maxime Le forestier qui chantait au mariage d’un ami commun, de mettre sur pause sa guitare 5 minutes. J’en ris encore, Mais j’ai longtemps ri jaune, de mon impolitesse qui a bien fait marrer toute le monde et qu’on s’empressait de me remémorer!!!

Je repense à ces micro moments ( Ho!  et le conseiller culturel à Kinshasa qui ressemblait au capitaine Haddock, et les dames en tailleurs achetés avant le départ pour » là bas «  et le 14 juillet les rillettes sculptées en forme de cygnes majestueux, et au Kenya, un autre attaché qui avait sous son pied une sonnette pour appeler. Je me souviens de l’échange de regards que nous avons eu et de cette conversation aussi furtive que muette. Elle s’est terminée si je me souviens bien par un : » Oh, ça va … «  qui était quelque peu familier alors que je n’avais rien dit d’audible tout au moins . Puis en Afrique et ailleurs les électrons qui gravitent autour des ambassades, plus ou moins fortunés, plus ou moins alcooliques, plus ou moins transpirants. La femme qui arrivait avec des jeunes noirs au volant d’une grande voiture décapotable rescapée d’on ne sait quel naufrage ( la voiture et/ou la femme ). Une vision d’apocalypse , l’entrée d’une divinité arrivée des sommets  d’ une sorte de terrain où on dansait. Là évidemment personne d’aucune Ambassade et avec cette Déesse nous étions les seules blanches. Puis aussi le sapeurs magnifiques à Kin.

Pour en revenir au livre, le couple de japonais qui à Belgrade dans la valse de plus en plus vite et se transforme ainsi en arme de destruction massive est désopilant, les adeptes de la vodka, les dingues, Ceux qui ne s’aperçoivent pas que leur étui n’est plus le leur: Celui qui contient un fusil, lui qui contient une crosse d’êvêque. Aussi le radeau, aussi le/les coiffeurs . 

16 juillet/ Orageux.

COAT

Dans le petit couloir, j’ai frôlé la poche de mon manteau accroché. Le rouge, avec des carreaux.

Je l’ai regardée.  Un peu déformée  par les passages successifs de ma main, mon bonnet, un livre ou des choses bien trop grandes-même pliées- pour pouvoir y entrer malgré mon insistance. La manche tout contre.

Je passe 100 fois par jour dans ce couloir.

Je voulais attraper le parapluie et j’ai vu que ce soir là la poche n’était pas comme les autres jours. Je me suis arrêtée quelques secondes, je l’ai inspectée. J’ai constaté l’usure en haut et des petites billes de laine sur l’Ecossais qui révélaient un tissu de qualité plutôt moyenne. Un petit bout de plume blanche sue le col venait peut être d’un pigeon ou d’un oreiller.

Alors, comme ça, brutalement, j’ai eu envie d’écrire un très gros livre. Gros comme le dictionnaire des personnages. Gros avec des petits caractères. Comme si on avait choisi des lettres minuscules  pour que toute ma vie puisse entrer.

Gros avec une couverture souple, comme le Journal de Lagarce que je venais d’acheter. et qui comptait 555 pages avec les notes. Il y a sa photo sur la couverture. Il est bras nus et tape à la machine.

Journal 1977 1990

13 ans de la vie d’un type dont je ne sais presque rien. 555 pages.

Je me disais que c’était drôle ces choses là.  Tout à coup un objet, une chose, un truc devient une sorte de signal de départ.

Je pense à présent que tous les grands livres, les livres vraiment importants sont nés d’une poche de manteau. Pas n’importe quelle poche et pas n’importe quel manteau, évidemment

Poche plaquée oui

poche à soufflets oui

Poche de côté : Non

Manteau en velours à grosse cotes oui

duffle-coat oui

gros manteau trop lourd oui

habit sans forme et usé oui

veste oui

Manteau “habillé” non

manteau rouge à petits carreaux oui. Enfin oui jusqu’à un certain moment.

Un gros livre, je suis bien d’accord que ce n’est pas en soi un rêve très malin.

C’est même une idée sotte et orgueilleuse. Une idée pleine d’envie pour ceux qui  ont su “quoi raconter” et encore plus fort, ceux qui ont réussi à ne rien dévoiler tout en ayant l’air du contraire. En fait non, je me trompe,  ceux qui ont réussi à tout raconter en ayant l’air de ne rien dire.

Bref un gros livre. Oh oui.

Moi je n’avais aucun don pour aucun style; Aucune question interessante qui aurait pu faire de moi un interlocuteur “acceptable”; Pas d’idée sur Flaubert, avec ou sans perroquet, une petite idée à propos de cette merveille de Saint -julien…pas d’idée sur Cummings ou Ezra POund; pas assez de temps passé à “ça”. Et pourquoi les autres. Et pourquoi pas moi.

Un jour j’ai dit: la maison de verre d’Eisenstein, vous la connaissez?

Le mec, à vrai dire ce n’était pas un mec mais un ami, m’a regardée bizarrement. Un peu comme si j’étais à côté de la plaque, dirais-je. un air de compassion à peine marquée. Trop nulle. C’est ce que j’ai ressenti. Mais X. tout simplement ignorait cette histoire, oui … C’était vrai mon récit d’Eisenstein.. Il a fait une moue. Je ne savais pas que c’était celle du mec qui ne sait rien mais te remets en question, toi. bref…

Attention,  un gros livre bien, juste bien comme La solitude est un cercueil de verre  écrit trop gros à mon goût avec  aussi une couverture  moche, mais  où on est embarqué directement dans le brouillard de Venice, où le tramway du bord de mer fait un bruit dingue dans le brouillard de Venice. Puis une chambre à Venice avec une machine à écrire , puis sur la plage de Venice dans la villa rouillée d’une star oubliée…. Bradbury auteur de Science Fiction? Pfff.

J’aime cette photo récente de lui, en bermudas et chaussettes longues.Il sourit.

Une idée en entraînant parfois une autre , je me disais qu’il serait plus raisonnable de faire justement le compte de mes idées. Enfin, de préciser un peu ce que j’entendais faire. D’y aller avec humilité, et à la fois ambition. Oui oui, les deux vont ensemble. Comme vont ensemble modestie et prétention quelque fois. Quand une personne timide et réservée, modeste devient pour quelques heures le Maître du monde, c’est impressionnant comme Spencer Tracy qui se transforme en Docteur Jekyll.

Mais celui qui écrit c’est moi?

A ce moment précis où mon cerveau faisait le point, le gros livre perdit plus de la moitié de ses pages. C’est à dire qu’il n’était plus que le dictionnaire de quelques personnages et même, si on regarde les choses en face, d’un seul et pas forcément en entier. Par déduction, je compris que le rescapé c’était moi, et que c’était peut être cela écrire un livre.

Par lâcheté et pour m’arranger des événements, je me suis dit qu’un petit livre qui se glisserait sans forcer dans la poche du manteau à carreaux ne manquerait pas d’élégance et serait la situation idéale. Plat, discret, accessible. Oui.Il ne déformerait pas les poches. Je me trouvais bel et bien devant l’obligation morale d’écrire Bartleby. Enfin je veux dire, d’écrire un livre de la taille physique de Bartleby. Je veux dire la taille des pages, l’épaisseur du dos, etc….

Si on parlait comme au cinéma on dirait: Je prépare un 90 pages, comme un 90 mn. Tout aussi bête. Ecrire un 500000 mots. Ecrire un Huit majuscules est audacieux, Moi c’est un sans fin que je voudrais faire. Sans avoir le moins du monde la moindre idée.. I would prefer to.

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