MAINTENANT/ GEORGES

Georges.

Un soir dans le métro, il y a 10 ans déjà, je vous ai rencontré.

J’étais assise, et j’avais sur les genoux l’appareil Polaroïd noir de mon père.

Vous étiez debout. Vous portiez une valise marron d’un autre âge;

Je ne voyais que votre dos.

Ce que je trouvais étrange, c’est la façon qu’avaient les gens de vous regarder de biais. Ils observaient.       Sournoisement; L’atmosphère était lourde.

Je ne comprenais pas cette insistance des regards.

Alors  vous vous êtes retourné.

Ca coupait le souffle.

J’étais impressionnée. C’était impressionnant , oui,

Votre visage… Incroyable ce visage.

J’ai soutenu votre regard, longtemps me semble ‘il. Vous avez souri je crois..

Votre visage d’encre , vos yeux bleus. Bleus comme votre peau.

Beau est le mot qui m’est venu à l’esprit. Beau.

Oui . Beau. Beau comme un beau monstre sans doute. Votre image si violente. Elle tendait l’espace, l’intensifiait.

On aurait dit que le wagon retenait son souffle.  Les gens, eux, volaient votre reflet dans les vitres sombres.

Je me souviens avoir souri aussi.

Mais peut être n’avons nous souri ni l’un , ni l’autre.

Vous êtes descendu à République. Moi aussi. Chacun dans un sens opposé.

Je vous ai regardé un moment vous éloigner avec votre valise, puis j’ai rejoins A. qui m’attendait sur un autre quai et lui ai donné le Polaroïd.

Je n’avais pas osé vous photographier . Dommage!

En rentrant, j’ai fait un petit dessin de votre visage et de vos mains.

Je n’avais pas osé vous parler.

Je  regrettais.

Je vous avais perdu , je m’en voulais. et la vie continuait.

Plus tard, un soir d’hiver, je traversais ma  cour. Il faisait nuit . Je dépasse une voiture garée là., parmi d’autres.

Je ‘arrêtée net, marque l’arrêt quelques secondes .

Comment  réaliser ce qui se passe?

Vous êtes à l’intérieur. C’est vraiment extraordinaire, incroyable.

Vous/ êtes assis   assis là, sur le siège arrière juste en bas de chez moi.

Invraisemblable…

Sans réfléchir, je suis revenue sur mes pas et j’ai ouvert votre portière; peut être vous en souvenez vous.

Je crois avoir dit:” Nous nous sommes vus un jour dans le métro…”

J’ai enlevé mon gant et tendu la main.

Vous avez dit: “Bonsoir, moi c’est Georges. Je me souviens du métro.”

Puis j’ai fait un signe de la main et vous ai laissé là sans même vous demander une adresse, un nom de famille. Rien.Quelle conne

Plus tard le hasard a nouveau.

Je vous écris/

Luc vous connaît et me donne vos coordonnées.

Je me demande s’il serait possible de vous rencontrer?Venez vous souvent à Paris?J’ignore qui vous êtes et ce qui vous anime  mais j’ aimerais vous parler.

Dimanche 25 février

Georges

J’ai bien reçu votre message sur le répondeur et votre lettre deux jours après. cela m’a fait très plaisir. Si je ne vous ai pas encore appelé, c’est que je trouve étrange ce passage à la réalité. Vous étiez l’homme bizarre à la valise, l’homme dans la nuit de la cour.

Voici votre voix. Voici votre écriture.

J’avais jour après jour fait de vous un personnage de roman,-un être proche de Cyril le jeune garçon au visage couvert d’ un voile vert et décrit par Walter de La mare.

J’ai élaboré des hypothèses, je vous ai construit une chambre copiée sur celle de Rebecca.

Je vous ai installé dans des demeures Victoriennes,  dans des recoins sordides, des abris.

Je vous ai abandonné dans une  cage . Je vous ai vu dans une baraque foraine et vous ai baptisé “ l’homme qui clignote”. J’ai reconnu en vous l’homme illustré de Ray Bradbury

J’ai pensé que votre squelette, était bleu aussi, que vous étiez un personnage de série B, un méchant, un vampire, le prince ensorcelé de la Belle et la Bête/

Je vous ai fait porter des costumes sombres, des cravates de soie noire, des haillons, des couronnes, des robes

Je vous ai appelé Saint-Fantôme, puis Fantômas .

J’ai fait de vous l’ami de Genet et d’Ed-Wood,

Je vous ai laissé nu dans un laboratoire.

J’ imaginais…

C’est alors que j’ai reçu votre lettre;

je vous lis avec attention. Je vous relis encore…

Rassurez-vous je n’ai aucun a priori sur quoi que ce soit. Vous parlez de votre homosexualité, et vous dites que peut être je serai déçue.

Ne soyez pas inquiet…

Je vous appellerai bientôt afin de savoir quand et où nous pourrions nous rencontrer.

Je peux venir à B. si cela est plus simple pour vous.

Hélène

J’étais allée en train jusqu’à C.

Je décidai de faire une halte chez C. et D. Ca me rassurait.

Surtout ce soir.

Je n’avais pas envie comme parfois, d’une chambre d’hôtel ou je serai seule.

Une atmosphère amicale, familiale serait la bienvenue. Ils me prêteraient une voiture. J’aurais encore 150 km à faire.

“ Alors tu lui as parlé? Tu vas y aller? Moi j’aurais peur. Tu n’as pas peur?

Peur ? Et bien peur… Peur …

D’après ce que tu décris… Moi je n’irais pas. tu y vas seule? Tu es sûre? Il a l’air bizarre quand même ce type?

C. riait en me disant que c’était Barbe-Bleue qui m’attendait ou un homme à tête de Méduse qui m’aspirerait les yeux.

Je pris l’expression du type qui va sauter d’un falaise:

A ce soir…..

A ce soir…  peut-être !

C. riait.

Plein de camions sur la nationale.. J’ai regardé la carte. C’était le bout du monde ce village. Comment tout  ça allait-il se passer? je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. Curieusement, je n’étais pas vraiment inquiète. C’était romanesque comme situation; j’aimais bien. J’avais dans le coffre un matériel assez rudimentaire pour filmer et enregistrer, il était d’accord.. je n’avais jamais fait ça.

Les routes devenaient plus étroites. J’ai vu des marais , j’ai traversé des forêts.

Il a commencé à pleuvoir un peu. Tout était très sombre.

Je suis arrivée enfin. “Route de la saline,” c’est là.

Une maison inquiétante, dans un renfoncement. Une maison grise comme on les dessine  en une seconde,avec une seule fenêtre au milieu et des volets fermés.

Un portillon blanc. Une pile de parpaings. Un jardin. Un banc et une toile cirée mouillée. Sur la table  deux chiens black and white en plastique et un vrai chat qui se lèche
la patte.

En sonnant je me disais

“Tire la chevillette et la bobinette cherra”. C’est ce que je me disais en sonnant.

J’ai entendu une fenêtre claquer, des miaulements, une voix qui disait “allez les chats “, Une porte s’ouvre . Vous êtes  devant moi.

14 Octobre 2008

Peut être que la première partie n’est pas celle qu’il faudrait.
Essais avec:

Photo E. Demaretz

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