Je n’en sais rien, mais ce que je connais c’est mon rêve de cette nuit. Bizarre comme Londres est récurrent. Le Londres qui n’est pas loin de la Place Clichy comme chacun sait. Le Londres où j’oublie toujours le nom de mon hôtel, ou je vais en taxi ( et là nous sommes à Rome devant je ne sais quel monument…. ) voir une exposition qui a lieu au théâtre Français ( on m’a donné des invitations je ne sais où, où je triais mes affaires dans des petits sacs de peur de les perdre ) Dans l’exposition une video montrant un visage qui bouge très lentement. En sortant, une dame émerge d’une flaque emportant à bout de bras une grande poupée; Je dis à une autre dame qui passe , habillée en noir qu’elle devrait regarder Baby Jane. Elle descend des marches, nous aussi. C’est un cinéma qui est là. Mais ilets abandonné, c’est plutôt une curiosité. Il y a une grande plaque de verre au milieu des marches . —Je l’ai vue , dis-je en Anglais . Je poursuis ma descente ( sans Dante ) dans cette sorte de cône. Me retourne. Il y a un bas relief d’homme allongé en céramique et en assiettes cassées comme les peintures des années 80 de Schnabel. En remontant je vois des fauteuil d’un théâtre à l’italienne. On sort . Je suis avec D. et J. qui elle veut parler peinture. J’habite avec elles dans un appartement.Je casse un coquetier. Je suis fatiguée. Je n’ai rien mangé depuis longtemps;De toutes façons je me sens mal ( et dans le rêve je retrouve les sensations éprouvées tout au début à la villa Medicis). Un taxi, je n’arrive pas à y monter il faut me pousser. Le chauffeur me montre des minuscules personnages ( genre Favier des débuts ).Je les achète qui le sac se renverse. On poursuit nos cercles, en traversant des appartements où des gens déjeunent. ON passe sur la pointe des pieds et les Anglais se trompent en disant fenêtre pour porte. A chaque personne que je croise, une catastrophe; cette dame qui me tient mon sac rose ( Deux dames au manteau rose, j’y repense se font des drôles de signes religieux ) , donc je confie mon sac et la dame part en furie, en fureur et se fait presque écraser car elle a foncé sur la route. Je récupère le sac enchanté et m’excuse. Elle ouvre une porte et disparait dans un escalier. Je ne mange pas. Je suis en face de Big Ben. J’ai pris le bus C. Et je vais vivre là, sans atelier, sans bien parler Anglais??? Je perds mes affaires, retrouve mon telephone, ne réussit pas à téléphoner à D. Sur son répondeur, en message d’accueil il y a un texte démesurément long et on ne peut pas parler. Miracle là voilà ici face à moi assise à une table en extérieur et elle fait des aquarelles roses. En face, on devine une rue avec des restaurants Japonais. On parle de R. qui m’a quittée et D . me dit qu’elle la vu à Fontainebleau. Je ne l’appellerai pas.
Ouf se réveiller . Je déteste ces rêves angoissants qui m’affectent réellement et je pense à perdre de la Ventoline …
Hier Les mots du soir 16/ Barthes 1973:
Avez-vous une méthode de travail ?
R.B Tout dépend du niveau où vous placez la réflexion sur le travail. S’il s’agit de vues méthodologiques, je n’en ai pas. S’il s’agit en revanche de pratiques de travail, il est bien évident que j’en ai. Et là, votre question m’intéresse dans la mesure où une sorte de censure considère justement ce sujet comme tabou sous prétexte qu’il serait futile pour un écrivain ou un intellectuel de parler de son écriture, de son “timing” ou de sa table de travail.
Lorsque beaucoup de gens s’accordent pour juger un problème sans importance, c’est généralement qu’il en a. L’insignifiance, c’est le lieu de la vraie signifiance. Il ne faut jamais l’oublier. Voilà pourquoi il me paraît fondamental d’interroger un écrivain sur sa pratique de travail. Et cela, en se plaçant au niveau le plus matériel, je dirais même minimal, possible. C’est faire un acte antimythologique : contribuer à renverser ce vieux mythe qui continue à présenter le langage comme l’instrument d’une pensée, d’une intériorité, d’une passion, ou que sais-je, et l’écriture, en conséquence, comme une simple pratique instrumentale.
Comme toujours l’Histoire nous indique bien, d’ailleurs, la voie à suivre pour comprendre que des actes très laïcisés et futilisés chez nous, comme l’écriture, sont en réalité lourdement chargés de sens. Lorsque l’on replace celle-ci dans le contexte historique, voire même anthropologique, on s’aperçoit qu’elle s’est longtemps entourée de tout un cérémonial.
Dans l’ancienne société chinoise, on se préparait à écrire, c’est-à-dire à manier le pinceau, au terme d’une ascèse quasi religieuse.
Dans certaines abbayes chrétiennes du Moyen Age, les copistes ne se livraient à leur travail qu’après un jour de méditation.
Personnellement, j’appelle l’ensemble de ces “règles”, au sens monastique du terme, qui prédéterminent l’œuvre (il importe de distinguer les différentes coordonnées : temps de travail, espace de travail et geste même de l’écriture) des ” protocoles ” de travail. L’étymologie est claire : cela veut dire la première feuille que l’on colle avant de commencer.
Est-ce à dire que votre propre travail s’inscrit dans un cérémonial ?
R.B. : D’une certaine manière, oui. Prenons le geste de l’écriture. Je dirai, par exemple, que j’ai un rapport presque maniaque avec les instruments graphiques. J’en change assez souvent, pour le simple plaisir. J’en essaie de nouveaux. J’ai d’ailleurs beaucoup trop de stylos. Je ne sais même plus qu’en faire. Pourtant, dès que j’en vois, ils me font envie. Je ne puis m’empêcher de les acheter.
Lorsque les pointes feutres sont apparues sur le marché, je les ai beaucoup aimées. (Le fait qu’elles fussent d’origine japonaise n’était pas, je l’avoue, pour me déplaire.) Depuis, je m’en suis lassé parce qu’elles ont le défaut d’épaissir un peu trop vite. J’ai également utilisé la plume : pas la sergent-major qui est trop sèche, mais des plumes plus molles comme la ” J “. Bref, j’ai tout essayé… sauf la pointe bic, avec laquelle je ne me sens décidément aucune affinité.
Je dirais même, un peu méchamment, qu’il existe un “style bic” qui est vraiment de la “pisse copie”, une écriture purement transcriptive de pensée.
En définitive, j’en reviens toujours aux bons stylos à encre. L’essentiel, c’est qu’ils puissent me procurer cette écriture douce à laquelle je tiens absolument.
Attachez-vous également de l’importance au lieu de travail ?
R.B. : Je suis incapable de travailler dans une chambre d’hôtel. Ce n’est pas l’hôtel en soi qui me gêne. Il ne s’agit pas d’une question d’ambiance ou de décor, mais d’organisation de l’espace. (Ce n’est pas pour rien que je suis structuraliste, ou que l’on m’attribue ce qualificatif !)
Pour que je puisse fonctionner, il faut que je sois en mesure de reproduire structuralement mon espace laborieux habituel. A Paris, le lieu où je travaille (tous les jours de 9 h. 30 à 13 heures. Ce “timing” régulier de fonctionnaire de l’écriture me convient mieux que le “timing” aléatoire qui suppose un état d’excitation continu) se situe dans ma chambre à coucher (qui n’est pas celle où je me lave et prends mes repas). Il se complète par un lieu de musique (je joue du piano tous les jours, à peu près à la même heure : 14h 30) et par un lieu de “peinture”, avec beaucoup de guillemets (environ tous les huit jours, j’exerce une activité de peintre du dimanche. Il me faut donc une place pour barbouiller).
Dans ma maison de campagne, j’ai reproduit exactement ces trois lieux. Peu importe qu’ils ne soient pas dans la même pièce. Ce ne sont pas les cloisons mais les structures qui comptent.
Mais ce n’est pas tout. Il faut que l’espace laborieux proprement dit soit divisé, lui aussi, en un certain nombre de microlieux fonctionnels. Il doit y avoir d’abord une table. (J’aime bien qu’elle soit en bois. J’ai un bon rapport avec le bois.) Il faut un dégagement latéral, c’est-à-dire une autre table où je puisse étaler les différentes parties de mon travail. Et puis, il faut une place pour la machine à écrire et un pupitre pour mes différents “pense-bête”, “microplannings” pour les trois jours à venir, “macroplannings” pour le trimestre, etc. (Je ne les regarde jamais, notez bien. Leur simple présence suffit.) Enfin, j’ai un système de fiches aux formes également rigoureuses : un quart du format de mon papier habituel. C’est ainsi qu’elles se présentaient, jusqu’au jour (c’est pour moi l’un des coups durs du Marché commun) où les normes ont été bouleversées dans le cadre de l’unification européenne. Heureusement, je ne suis tout de même pas totalement obsessionnel. Sinon, j’aurais dû reprendre à zéro toutes mes fiches depuis l’époque où j’ai commencé à écrire, il y a vingt-cinq ans.
Étant essayiste et non romancier, quelle est la part de la documentation dans la préparation de votre travail ?
R.B. : Ce qui me plaît, ce n’est pas le travail d’érudition. Je n’aime pas les bibliothèques. J’y lis même fort mal. C’est l’excitation provoquée par le contact immédiat et phénoménologique avec le texte tuteur. Je ne cherche donc pas à me constituer une bibliothèque préalable. Je me contente de lire le texte en question, et cela de façon assez fétichiste : en notant certains passages, certains moments, voire certains mots qui ont le pouvoir de m’exalter. A mesure, j’inscris sur mes fiches soit des citations, soit des idées qui me viennent, et cela, curieusement, déjà sous un rythme de phrase, de sorte que, dès ce moment, les choses prennent déjà une existence d’écriture.
Après quoi, une deuxième lecture n’est pas indispensable. Je puis, en revanche, réassurer une certaine bibliographie, car, désormais, je me trouve plongé dans une sorte d’état maniaque. Tout ce que je lirai, je sais que je le ramènerai inévitablement à mon travail. Le seul problème, c’est d’éviter que mes lectures d’agrément viennent interférer avec celles que je destine à l’écriture. La solution est fort simple : les premières, par exemple un classique, ou un livre de Jakobson, sur la linguistique, qui me plaît tout particulièrement, je les fais au lit, le soir, avant de m’endormir.
Les autres (également les textes d’avant-garde), le matin à ma table de travail. Il n’y a là rien d’arbitraire. Le lit, c’est le meuble de l’irresponsabilité. La table, celui de la responsabilité.