MUSÆUM CLAUSUM, OU BIBLIOTHECA ABSCONDITA (Thomas Browne) – Traduction & Translation
curiosités en images
16. Dessins de trois expressions pleines de passion :
Thyeste au moment où, à table, on lui apprend qu’il vient de manger un morceau de son propre fils ;
Bayézid au moment où il pénètre dans la cage de fer ;
Œdipe lorsqu’il apprend qu’il a tué son père et épousé sa propre mère.
Antiquités et curiosités de diverses sortes
12. La peau d’un serpent ayant grandi dans la moelle épinière d’un homme.
20. Un anneau sorti de l’estomac d’un poisson trouvé près de Gorro ; supposé être celui qui symbolisait le mariage du duc de Venise avec la mer.
23. Batrachomyomachia, ou la bataille homérique entre les grenouilles et les souris, parfaitement gravée dans l’os de la mâchoire inférieure d’un brochet.
Quiconque sait où tous ces trésors se trouvent aujourd’hui est un grand Apollon. Je suis sûr de ne pas être celui-là. Cependant, je suis,
Pseudodoxia Epidemica
Après l’Anatomie de la mélancolie de Robert Burton et tout récemment Ulysse de Joyce, Bernard Hoepffner s’est attelé à un autre livre culte : Pseudodoxia Epidemica ou Examen de nombreuses idées reçues et de vérités généralement admises de Thomas Browne. Face à l’ouvrage, on saisit vite la difficulté pour le traducteur. Thomas Browne fut l’un des grands érudits de son temps et brasse dans cet essai rien moins que le savoir de l’Antiquité au XVIIe siècle. Il le fait en homme de science doublé du plus incroyable styliste qu’on puisse imaginer. Il reste un écrivain pour happy few. Valery Larbaud parlait même de l’existence «d’une petite secte (secrète) des lecteurs de Thomas Browne». Très lu au XVIIe siècle, Browne, dont on s’épuise inutilement à trouver des équivalents (Montaigne notamment), a eu une influence considérable jusqu’au romantisme. «Aujourd’hui, dit Bernard Hoepffner, il est pratiqué par les écrivains qui s’intéressent à l’écriture. Il suffit de voir l’influence qu’il a eue sur W. G. Sebald, sur Guy Davenport, je ne serais pas non plus étonné que Jim Crace l’ait lu, et je ne parlerai pas des grands Américains, William Gass, Gilbert Sorrentino ou William Gaddis.» Patrick Mauriès, qui préface d’un essai très pertinent Quatre animaux fabuleux, court extrait de Pseudodoxia dans une version du XVIIIe siècle, a croisé le chemin de Browne dans Borges et Mario Praz. (…)
Thomas Browne est entre deux mondes, la Renaissance et le XVIIe dominé par Francis Bacon. Il compose, avec Pseudodoxia Epidemica, une encyclopédie des idées reçues de son temps. La chute d’Adam du paradis terrestre prépare ce long inventaire placé sous la «nature faillible de l’homme», la «prédisposition du peuple à l’erreur» et la «crédulité des humains, à savoir leur assentiment placide à tout ce qui est proclamé, ou leur croyance, à la première écoute, en ce qui est avancé par les autres». La raison en est souvent «l’attachement à l’Antiquité», c’est-à-dire aux autorités et aux traditions. Pseudodoxia Epidemica participe du même mouvement que celui qu’a entrepris Francis Bacon, tout en gardant l’aspect d’une longue recollection fascinée des mots et des choses. C’est là, dans la juxtaposition des fables, fictions, emblèmes et hiéroglyphes, que se joue proprement la magie de cet essai. Browne ouvre le grand livre du monde, fait défiler météores, insectes, plantes, philosophes pris dans la ronde diabolique de l’erreur, en une encyclopédie émerveillée de tous les sophismes à la limite du fantastique. C’est d’ailleurs sur le nom de Thomas Browne que s’achève la nouvelle de Borges consacrée à son encyclopédie imaginaire, Tlön Uqbar Orbis Tertius, que l’Anglais a inspiré en partie à l’Argentin.
(…)
Le lecteur est vite pris dans ces chaînes argumentatives où Browne confronte les opinions des philosophes de l’Antiquité, des Pères de l’Eglise, des commentateurs humanistes. Il digresse, bifurque lui aussi de manière épidémique, semblant faire visiter un cabinet de curiosités imprimé où il nous guide parmi les licornes, griffons ou basilics avec une fierté de propriétaire, souriant malicieusement de ses trouvailles. «Son humour, explique Bernard Hoepffner, n’existe que dans le style et reste une des choses les plus difficiles à faire passer en traduction ; ceci en partie parce qu’il est un des grands rhétoriciens de la littérature anglaise et que ce type d’humour est fondé sur la rhétorique, sur le paradoxe, passe par une certaine disposition du texte sur la page, un usage des majuscules (que j’ai conservé) et une ponctuation qui est devenue plus ou moins incompréhensible au lecteur d’aujourd’hui. Son style est une musique à nulle autre pareille : “Toute tentative pour exprimer convenablement la subtilité de sa musique est impossible”, disait Norton R. Tempest en 1927. Et je ne peux m’empêcher de citer aussi Coleridge : “Son humour entremêle sans cesse ses lueurs à sa philosophie : telles ces couleurs intermittentes chatoyant sur fond d’une soie moirée.”»
Nul doute que la traduction de Bernard Hoepffner fera date. Outre des index nombreux qui transforment Pseudodoxia en dictionnaire (c’est aussi une manière de le lire), le traducteur a ajouté un copieux lexique. Browne innove, il crée, précise Bernard Hoepffner, «900 mots nouveaux ajoutés à la langue anglaise, pas bien loin derrière Shakespeare qui en aurait introduit 1 500». Browne, outre ses humanités classiques, parlait de nombreuses langues, il s’en sert pour néologiser. «Computer, au sens de calculateur», «Piramidally, signifiant très longtemps», electricity, disruption… Il y donne aussi, ajoute Mauriès, dans le «néologisme abracadabrant».