Dans le film Thérèse d’Alain Cavalier, on voit une soeur s’habiller le matin en commençant par nouer autour de sa taille une ceinture de cuir à l’intérieur de laquelle ressortent des clous qui lui rentrent dans la chair. Avec son vêtement de nonne qui couvre tout, personne ne peut soupçonner que son premier contact vers l’extérieur c’est de la souffrance, et qu’au moindre geste qu’elle fait, elle prend conscience de cette ceinture-torture invisible.
Il y a des vêtements qui sollicitent toute notre attention dès qu’on les porte : des chaussures qui répètent « aïe » dès qu’on fait un pas, une jupe trop courte qui pense que tout le monde la reluque, une braguette cassée ou une tâche mal placée qui supplient qu’on les cache avec un pull…
Un bon vêtement est un vêtement dont on n’a pas conscience de le porter car il se fond en nous et épouse parfaitement notre corps et notre esprit.
Je veux faire des vêtements qui rassurent et protègent, qui donnent force et confiance à celui qui les porte. Des accessoires invisibles, secrets, qui touchent la peau pour que le corps s’imprègne de leur magie. J’aime la ceinture qui se noue à la taille car elle recouvre une zone du corps où se concentrent le stress et les émotions fortes. On pourrait voir la ceinture comme un stabilisateur d’émotions, elle régule la respiration sans la contraindre, soutient le corps sans le brimer.
Ensuite, pour qu’il y ait magie sur le vêtement, il faut qu’il y ait parole. Parole parlée comme une incantation ou parole écrite brodée sur le tissus. L’étiquette d’un vêtement, cousus dans l’envers du tissus, vers l’intérieur, touche (voir gratte) le corps est ce qui donne sa valeur au vêtement, son aura, parce qu’elle renseigne sur son origine. On a besoin que le vêtement nous raconte son histoire pour qu’il nous touche, pour l’apprivoiser, pour nous familiariser avec. Ça doit être pour ça qu’un vêtement neuf que je viens d’acheter peut passer un an dans mon armoire, au contact de mes autres tissus, le temps de s’acclimater, de vivre, avant que je me sente suffisamment en confiance pour le porter.
Mais quels mots sont magiques et ont le pouvoir de donner de la force lorsqu’ils sont portés ? Je pense aux mots « Je t’aime » que Titi Parant a copié toute sa vie et que j’ai trouvés si touchants la première fois que je les ai lus, ou alors aux médaillons autour du cou avec le portrait de son amant, ou encore – toujours dans le film Thérèse – à la dernière larme d’une soeur que Thérèse recueille dans un sachet de velour. Ces mots sont magiques parce que ce sont des dons, il y a un destinataire, un sens, une private joke.
Qui est le destinataire des vêtements magiques que je veux faire ? On m’a parlé d’un artiste (je crois que c’est Seth Siegelaub je sais plus, ou quelqu’un de la beat generation plutôt ?) qui a traversé les Etats Unis avec une veste, dans laquelle il coinçait au fur et à mesure des morceaux de papiers qui étaient des bouts de poèmes. Ou alors c’était des bouts de tissus qu’il cousait. Toujours est-il que la veste était le reflet de son âme, le support de son expérience/aventure. Je veux me confectionner une veste semblable, des accessoires-supports-d’expérience vierges pour le moment où je partirai faire mon grand voyage.