L’art dans les chapelles
Léa Bismuth
Pour cette exposition dans la chapelle Notre-Dame des Fleurs, Hélène Delprat a décidé de jouer avec l’aura religieuse du lieu et son histoire, sans chercher à transformer la chapelle en lieu d’exposition traditionnel. Elle place ainsi l’exposition sous le patronage de Sainte Emerentienne, la Sainte de la chapelle dont elle endosse les poses et costumes. Fidèle à son art de la mascarade et du déguisement — et avec une joie toute enfantine — elle joue tous les rôles ; surtout les rôles sacrés et particulièrement ritualisés, à la grande force théâtrale et aux immenses potentialités d’apparat, qui deviennent des sources d’inspiration et d’accessoirisation inépuisables.
Hélène Delprat est à sa manière une iconologue : elle collecte minutieusement les images et circonscrit des ensembles dans lesquels elle installe sa pratique artistique, autant picturale que photographique ou performative. De manière très proche du Georges Bataille de Documents, elle crée des archives obéissant à une réglementation nouvelle, aux rapprochements fulgurants, qui n’ont de logique qu’au sein de son œuvre. Alors qu’elle a pendant longtemps puisé dans les albums Maciet, c’est aujourd’hui vers internet qu’elle se tourne « avec boulimie ». Le cinéma (citons Cocteau, Fellini, Dreyer), la littérature (par exemple Mary Shelley, Rilke ou Walter de la Mare), l’histoire de l’art (elle nourrit une grande attention pour l’histoire des Grotesques renaissants) et l’iconographie populaire (la seule référence à « Chapeau melon et bottes de cuir » vaut le détour) sont également parmi ses champs d’action privilégiés.
Ici, transformée en sainte Emerentienne, elle apparaît dans une niche de bois et devient ce qu’elle n’est pas : une jeune martyre du IVème siècle, à la fin tragique, vêtue de sa longue robe blanche, solennelle, courbant la tête comme on courbe l’échine. Et sur la mitre qui couronne le costume, la mort règne sous la forme de petits personnages sommairement dessinés, à l’aide d’un simple cerne noir. Hélène Delprat appartient à une temporalité baroque où la mort est toujours dans la fête, un monde carnavalesque où toutes les autorités sont inversées, le pouvoir cul par dessus tête. Le grotesque n’est jamais très loin non plus, cet art de l’arabesque, de la grimace et des petites monstruosités. Le macabre sous toutes ses formes — les squelettes, les crânes, la mort portant sa faux sur l’épaule, les ossements, les tombeaux… — prend la première place sur cette scène grand-guignolesque pas si drôle que ça, où l’on gesticule et où l’on se moque finalement de la bêtise elle-même, la vraie, celle des ânes qui braient. La mort c’est aussi celle de Jeanne D’Arc dans le film de Dreyer : un visage qui n’est plus que larmes, à la chevelure disparue et sacrifiée, comme celle de l’artiste. Que reste-t-il alors : une ultime mascarade ou un dépouillement sublime ?
Art dans les Chapelles interview HD