La marche dans les ténèbres
Le noir , Hazan 2006
Gérard Georges Lemaire
D’aucun vont même jusqu’à ressentir la nécessité de plonger leur peinture dans les ténèbres. Plus qu’une attitude théorique, c’est pour eux un moment de paroxysme dans leur quête solitaire, souvent hasardeuse, parfois même imprévisible et par conséquent, sans le moindre programme. Seule une ligne de tension poétique leur sert de guide.
Et celle-ci les rapproche du noir comme s’ils ressentaient la folle tentation de risquer ce pari, c’est à dire de se rapprocher du degré zéro de la peinture, ce point où toutes les couleurs sont comme absorbées par le maelström d’un trou noir.
Hélène Delprat s’y risque en 1986 avec un cycle complet de grands tableaux qui sont autant de plongées dans le noir, la plupart du temps sans titre. Jusque-là elle a conçu ses créations comme autant de scènes théâtrales où le pastiche et l’ironie se mêlent à une désagrégation littérale des codes propres à l’exercice de la peinture. Cette dernière se change en une mascarade où le négritude héritée de l’art moderne est brusquement ramenée à la vérité de l’art africain, les «fétiches» des cubistes et des expressionnistes étant assimilés aux fétiches authentiques des civilisations de l’Afrique subsaharienne.
Cette double perversion des origines s’accompagne d’une vaste encyclopédie d’objets et de signes parmi les quels des hiéroglyphes et des graffitis, dans un remugle permanent de citations tronquées, de relations et d’analogies plutôt hypothétiques, de pures inventions.
Au fil du temps, elle a resserré le nombre des couleurs, se restreignant pour l’essentiel à des teintes sombres. Les verts, les bistres, les ocres, les bleus sont saturés par un bleu éteint puis par des bruns, qui en se brassant, se rapprochent du noir. Et là , elle aboutit à des compositions qui à force d’exaspérer cette inclinaison, finissent par se rapprocher de la monochromie. Ne subsistent plus alors que quelques traces figuratives qui semblent flotter dans une dispersion absolue de leur sujet supposé.
Ce qui est lisible à leur surface semble d’ultimes réminiscences, des graphies égarées dans une montée de l’obscurité, une dernière palpitation de la vie des choses vues ou rêvées quand la peinture a perdu toutes ses justification.
Elle achève cette période aux frontières de la perception en passant par le gris, tremplin grâce auquel elle va renouer ensuite avec tous les possibles de lacouleur. Mais jamais elle n’abandonne le noir, comme Olympia coupable, Amphora ou Uxor, en témoignent.